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Sud-Soudan: Une naissance et des défis majeurs en perspective

Eclairage Le 9 juillet 2011, le géant africain s’est scindé en deux, donnant naissance au 55e pays d’Afrique, le Sud-Soudan. Une scission faisant suite au « oui » massif exprimé par les Sud-Soudanais au référendum pour l’indépendance qui s’était tenu entre le 9 et le 15 janvier dernier. Mais pour le Sud-Soudan, Etat particulièrement vulnérable, le coût de la séparation est élevé.

 

Alors qu’il vivait au Sud-Soudan au XIXe siècle, le gouverneur général anglais Sir Samuel Baker disait ressentir « un profond malaise, celui de se trouver dans un chaos où la vie n’a jamais fait de progrès mais s’est contentée de stagner dans un espace clos ». Le désamour entre le Nord arabo-musulman et le Sud chrétien et animiste date du condominium égyptien-britannique au Soudan lorsque, de 1898 à 1947, les Anglais ont mené une politique de séparation et créé des administrations différentes dans les deux régions, en raison de différences culturelles, historiques et politiques.

Près de 170 ans après la visite de Sir Baker, l’un des plus pauvres pays du monde naît dans la douleur, après 21 années d’une guerre civile qui est la plus longue d’Afrique.

Alors qu’il vient de gagner son indépendance, le Sud-Soudan est confronté à de lourds défis qui menacent sa viabilité même.

Un contexte de discorde

« Il est certain que la situation sécuritaire actuelle dans les régions frontalières (entre le Nord et le Sud-Soudan) inquiète la communauté internationale », souligne George Conway, directeur adjoint du bureau de Juba, capitale du Sud-Soudan, du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Selon un bilan de l’Onu publié le 6 juin 2011, près de 100 000 personnes auraient fui les combats dans la ville d’Abyei et à peu près 5000 Soudanais auraient péri au cours des heurts entre l’armée de Khartoum (capitale du Soudan) et celle de Juba. L’enjeu du Kordofan-Sud, région frontalière au statut indéterminé où se situe Abyei, est l’or noir que se disputent violemment le Nord et le Sud. Deux groupes ethniques principaux s’affrontent dans l’Etat du Kordofan-Sud : les Misseriya (Arabes) auraient souhaité faire partie d’un Soudan uni tandis que les Ngok Dinka veulent rejoindre le Sud-Soudan.

« On n’imagine pas les SAF (les Force armées nordistes du Soudan) pénétrer en profondeur et massivement dans le Sud-Soudan, mais des engagements directs sont possibles, dans les zones où la frontière n’est pas encore définitivement tracée, sans que cela conduise à un embrasement généralisé ni à une intervention des forces internationales », soutient Christian Delmet, chercheur au CNRS. « Pour le reste du pays, poursuit-il, Khartoum pourrait ‘soutenir’ les dissidents du SPLM/A (l’Armée et le Mouvement populaires de libération du Soudan, Sud) dans l’espoir de déstabiliser le SPLM et de rouvrir des négociations ponctuelles avec un gouvernement où siègeraient ses ‘protégés’».

« S’il n’y a pas la volonté politique entre le Nord et le Sud de trouver une solution politique, il pourrait y avoir une guerre », prévient, de son côté, Fouad Hikmat, conseiller spécial de l’Union Africaine sur le Soudan et spécialiste à l’International Crisis Group. « Toutes les questions en suspens (pétrole, finances, fiscalité…) perdureront et Abyei demeura au premier plan », estime-t-il.

Malgré le potentiel, des gageures économiques difficiles

Un contexte sécuritaire pour le moins précaire qui ne manquera pas de peser négativement sur le développement d’une économie en friche. A titre d’exemple, le Sud-Soudan n’a pas encore adopté son système bancaire (la Banque Centrale Sud-Soudanaise est toujours liée à celle du Nord) ni sa propre monnaie, pourtant annoncée pour août 2002.

Le Sud-Soudan bénéficie toutefois d’avantages indéniables. Il regorge notamment de ressources : le territoire contient 80% des réserves pétrolières des deux Soudan, il contient aussi d’abondantes ressources en eau et 90% de la terre y est cultivable. En ce qui concerne le pétrole, pour lequel les infrastructures liées à la distribution sont concentrées au Nord, les experts s’accordent à dire que le Sud et le Nord sont obligés de coopérer. A terme, « il faudra, bien entendu, construire au moins une raffinerie ! » précise Mr. Delmet. Mais pour « le court terme, (les Sudistes) devront veiller à ce que les revenus du pétrole ne soient pas confisqués par les Etats producteurs mais servent vraiment au développement de tout le pays », poursuit le chercheur, ajoutant que « dans quinze ans, il n’y aura probablement plus de pétrole au Sud-Soudan à moins de découvertes nouvelles. Les Sudistes le savent (et) envisagent dès maintenant un développement davantage basé sur les ressources agricoles et pastorales ».

Il est nécessaire que le Sud-Soudan diversifie ses secteurs d’activités afin de générer de l’emploi, renchérit Mr. Hikmat. A l’heure actuelle, le pays est lourdement dépendant des revenus pétroliers, lesquels constituent plus de 95% du budget annuel, selon un rapport de l’Unesco publié en juin 2011. « Le gouvernement du Sud-Soudan est le seul employeur dans le Sud … cela n’est pas suffisant pour accommoder tout le monde (et) générer de l’emploi, » explique t-il. « Le bon côté est que le Nord pourrait accepter de payer une bonne partie de la dette commune (et) cela aiderait l’ONU et la Banque Mondiale à financer des projets de développement », nuance le spécialiste.

Malgré le potentiel considérable de l’économie sud-soudanaise dans les domaines de l’agriculture, l’industrie minière et le tourisme, les défis économiques persistent du fait de « l’absence d’un secteur privé efficace », note Mr. Conway. Pallier ce manque « nécessite des stratégies de fond de la part du gouvernement pour assurer qu’il y ait un investissement adéquat » dans ce secteur, suggère l’expert.

Gouverner et intégrer : un défi supplémentaire

Autre défi de taille pour le Sud-Soudan, la gouvernance politique. Le gouvernement du Sud-Soudan n’a que cinq ans. Il a été formé à la suite de la signature des accords de paix en 2005 qui ont mis fin à la guerre civile entre le Nord et le Sud. Le gouvernement s’inscrit donc « dans un cadre de construction des structures étatiques à partir de zéro », indique Mr. Conway.  « Le SPLM a la tâche énorme de se réformer lui-même (ne pas poursuivre dans la voie du parti unique) et d’associer davantage à l’exercice du pouvoir des populations qu’il a parfois maltraitées ou qui elles-mêmes l’ont violemment combattu. Un système fédéral semble s’imposer avec une large dévolution aux Etats », explique Mr. Delmet. Mr. Hikmat soutient, pour sa part, que « le SPLM, en tant que parti politique, a acquis de l’expérience ces six dernières années quant à l’administration du territoire ». « Le Sud-Soudan a tous les ingrédients principaux, c’est-à-dire des pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire, une police et une armée, afin de gouverner efficacement », assure-t-il. Une thèse que ne corroborent par les chiffres. Mr. Conway cite une étude qui a prouvé qu’après l’accord de paix, seuls 50% des fonctionnaires avaient une éducation de base et 5% avaient obtenu un Mastère.

S’ajoute au problème de la gouvernance, la pression relative à l’absorption d’une population qui croît. Depuis 2005, plus de 2 millions de réfugiés et déplacés sont retournés au Sud-Soudan, selon le rapport de l’UNESCO. Durant les derniers mois, près de 300 000 Soudanais ont migré du Nord au Sud et « nous prévoyons que ces chiffres continueront d’augmenter », souligne Mr. Conway. Ce retour massif de chrétiens et animistes s’opère car « le gouvernement de Khartoum pourrait rétablir les châtiments corporels (hudud) pour les non-musulmans qui en sont dispensés par le code pénal de 1991 », explique Mr. Delmet. Aussi, « le gouvernement du Nord n’accepte pas la double nationalité », précise Mr. Hikmat.

Le défi du gouvernement du Sud-Soudan est non seulement d’absorber cette population mais aussi de lui fournir des services sociaux, étant donné la situation humanitaire catastrophique. Selon Jonas Nkelango, le représentant pour le Soudan auprès de l’organisation caritative Tearfund, les besoins humanitaires les plus pressants sont la sécurité alimentaire, l’assainissement de l’eau, la santé, l’éducation et la prise en charge des déplacés. Au Sud-Soudan, plus de 90% de la population gagne moins d’un dollar par jour, précise Mr. Conway. Selon le rapport de l’UNESCO, une jeune fille est trois fois plus susceptible de mourir pendant la grossesse que d’atteindre le niveau de la quatrième à l’école. Au Sud-Soudan, l’on compte un maître d’école formé pour 100 élèves. Et le gouvernement accorde une subvention de 2$ par personne aux élèves d’école primaire.

D’un autre côté, « il y a également des avantages évidents liés à ce processus » de retour massif des Sudistes du Nord au Sud, nuance Mr. Conway. Beaucoup d’entre eux sont employés dans l’administration, la police ou l’armée. « Ces fonctionnaires sont très expérimentés, très compétents et peuvent (…) aider à relever le niveau moyen du fonctionnement des institutions étatiques », soutient-il.

De même, la diaspora sud-Soudanaise a un rôle prépondérant. « Il y a des milliers et des milliers de personnes de la diaspora, dans les pays voisins (Uganda, Kenya, Ethiopie) et partout dans le monde, qui sont incroyablement expérimentés (car) ils ont travaillé pour des gouvernements et dans le secteur privé», explique Mr. Conway. Quant aux Sud-Soudanais établis en Europe et en Amérique, « la paix rétablie aux frontières et (au Sud-Soudan), condition du développement, pourrait les inciter à venir prendre le relais des combattants aujourd’hui au pouvoir à Juba ».

Le développement du Sud-Soudan dépend aussi lourdement, par ailleurs, de l’aide internationale déjà massive. « La communauté internationale doit intensifier ses efforts, qui requièrent de la coordination, de sorte que l’aide mondiale soit complémentaire plutôt que concurrentielle », affirme Mr. Nkelango.

Développer l’Etat naissant nécessite enfin et également un effort de coopération de la part du gouvernement sud-soudanais lui-même. Pour Mr. Hikmat, le développement du Sud-Soudan a été entravé par le retrait de Juba des accords de Cotonou en 2009, qui ont pour but de réduire puis éradiquer la pauvreté en Afrique, ainsi que du Statut de Rome (texte fondateur de la Cour Pénale Internationale).

This article was published in Beirut-based L’Orient-Le Jour newspaper on July 11, 2011.

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Kamilia Lahrichi

Kamilia Lahrichi is a foreign correspondent and a freelance multimedia journalist. She's covered current affairs on five continents in English, French, Spanish and Arabic.

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