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Rancoeur et espoir nourrissent les Soudanais au Liban

BEYROUTH – « L’indépendance (du Sud-Soudan) est une très mauvaise nouvelle pour nous », affirme Anas, un Soudanais de 31 ans, originaire des montagnes Nuba dans l’Etat du Kordofan-Sud, région frontalière que le Nord et le Sud se disputent violemment. « Nuba » fait référence à la tribu nubienne dont il est issu, un peuple du Soudan qui compte près de 500 000 âmes et qui se surnomme « les gens des collines ». Avec l’indépendance du Sud-Soudan et alors que le statut de la région du Kordofan-Sud est toujours indéterminé, les Nubas craignent de devenir une minorité dans le Nord car ils s’identifient, traditionnellement, davantage aux Sudistes africains qu’aux Nordistes arabes.

Anas appelle les gens de sa tribu « les enfants de Kuch », en référence au Royaume de Kuch, qui constituait l’antique Etat nubien entre 1070 avant J.C et 350 après J.C. « Nous souhaitons que la civilisation soudanaise demeure unie mais, aujourd’hui, des familles vont être séparées entre le Nord et le Sud » du Soudan, déclare le Soudanais qui a quitté son pays natal pour se réfugier au Liban, où il habite depuis neuf ans. Etudiant en science politique et droit à l’Université Arabe de Beyrouth, Anas travaille également dans un restaurant. « Avons-nous le droit de faire autre chose ici ? », demande t-il, un sourire jaune aux lèvres. « Je pense que les Soudanais ne favorisent pas l’unité tandis qu’ici (au Liban), nous vivons ensemble », affirme t-il, avant de prévenir : « Il se peut même que le Darfour devienne un Etat à part entière, après l’indépendance du Sud-Soudan ».

L’indépendance du Sud-Soudan souligne la profonde division entre les différentes ethnies soudanaises, renchérit Abdallah, originaire, lui-aussi, des montagnes Nuba. Cette unité soudanaise s’est effondrée durant le condominium égyptien-britannique, explique ce Soudanais chrétien, chauffeur de taxi et cuisinier à Beyrouth. « La plupart des guerres qui ont eu lieu au Soudan sont le résultat de l’influence de l’Egypte, particulièrement de la propagation du panarabisme, lequel a entraîné une opposition entre les Arabes et l’ancienne culture africaine au Soudan »,assure-t-il. A présent, « le président soudanais, Omar el-Bashir, et ses conseillers politiques, pensent que tous les problèmes du Soudan sont causés par les groupes non-Arabes », déclare Abdallah. A titre d’exemple, el-Bashir a armé les Musulmans des montagnes Nuba, selon lui, sous prétexte qu’ils devaient se protéger des Chrétiens de cette région. Les Musulmans se sont ensuite emparés des récoltes des Chrétiens dans cette région agricole, explique-t-il encore.

Abdallah finit toutefois par nuancer son propos, et soutenir que l’indépendance du Sud-Soudan est, avant tout, « une séparation politique entre le Nord et le Sud ». Les montagnes Nuba verdoyantes « appartiennent politiquement au Nord mais géographiquement et ethniquement au Sud » car le SPLM (Mouvement populaire de libération du Sudan, Sud) contrôle la région, explique-t-il.

Ce schisme politique entre Nord et Sud était déjà présent à l’aube de l’indépendance du Soudan, en 1955, souligne Samuel, un Soudanais originaire de Rumbek, capitale de la province Bouhayrat dans le Sud-Sudan. « Les gens ont tendance à oublier qu’avant l’indépendance du pays, le Sud était déjà une entité indépendante », explique Samuel qui est arrivé au Liban en 1998 avec femme et enfants, après un long périple qui le mena du Sud-Soudan jusqu’à Baba Noussa au Nord, puis à Beyrouth. Il travaille maintenant dans un restaurant de la capitale. « C’est la raison pour laquelle je pense qu’il est préférable d’avoir un Sud-Soudan indépendant. Ainsi, la guerre s’arrêtera entre le Nord et le Sud », poursuit-il.

C’est avec une rancœur appuyée envers le gouvernement de Khartoum qu’Anas, dont le cousin a péri la semaine dernière dans les heurts au Sud-Kordofan, explique que le Nord n’a pas réussi à assurer la survie des populations sudistes en leur procurant des services basiques, tel que l’eau. « Nous devons donc régler plusieurs problèmes que le Nord n’a pas réussi à gérer », affirme-t-il. « Le gouvernement du Sud-Soudan s’occupera de manière plus efficace de sa population », espère Anas. « Il ne s’agit pas d’être un meilleur pays (que le Nord), explique Samuel, ce qui est important, c’est d’être libre ».

Quant à un potentiel retour au Sud-Soudan, Anas insiste sur le fait qu’il veut « aider son peuple » car « c’est (son) pays ». Néanmoins, la peur d’une reprise des hostilités n’encourage guère ces émigrés à considérer un retour au pays. Pour l’instant, du moins. « S’il n’y avait plus de conflits internes, la vie serait meilleure qu’au Nord, parce que notre terre est cultivable et nous avons beaucoup d’eau et de pétrole, regrette Abdallah. L’avenir, peut-être, sera plus encourageant ». Quant à Samuel, il insiste sur le fait qu’il ne retournera chez lui que « lorsque flottera le drapeau du Sud-Soudan et que le pays sera plus stable ».

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This article was published in Beirut-based L’Orient-Le Jour newspaper on July 11, 2011.

 

 

Kamilia Lahrichi

Kamilia Lahrichi is a foreign correspondent and a freelance multimedia journalist. She's covered current affairs on five continents in English, French, Spanish and Arabic.

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