Droit islamique et droits de l’Homme: Font-ils bon ménage? (Partie I)
Le 19 août, la faculté de droit de l’Université de Buenos Aires a présenté le premier code international des droits de l’homme publié par Thomson Reuters. Il rassemble tous les droits, déclarations et principes de tous les traités concernant les droits humains.
«Toutes les nations du monde célèbrent [ce code] au sein de leur Parlement tout en l’adaptant à leurs particularités culturelles et politiques,» explique Daniel Herrendorf, auteur du code et Conseiller en droits de l’homme aux Nations Unies.
Il se peut, cependant, que les codes internationaux de droits de l’Homme ne soient pas applicables ou pertinents pour les pays islamiques. En effet, le droit international a pris naissance au sein des États occidentaux et s’est développé dans un système dominé par une perspective occidentale du monde, à laquelle plusieurs groupes islamiques d’Afrique et du Moyen-Orient se heurtent aujourd’hui.
Un concept occidental du droit
La notion de droits de l’Homme est née à Londres avec la déclaration des droits (Bill of Rights en anglais) adoptée en 1688. Elle fut ensuite développée aux États-Unis avec la déclaration des droits de l’État de Virginie (Virginia Declaration of Right en anglais) en 1776, puis à Paris avec la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen en 1789.
La déclaration universelle des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies, adoptée en 1948, «est, précisément, universelle: elle a la même valeur pour chacun des 192 pays qui composent l’ONU depuis sa création […], avec la participation active des cinq continents du monde,» ajoute M. Herrendorf.
En réalité, les États les plus puissants de sa composante, à savoir les pays occidentaux, «écrivent leurs intérêts dans la loi». Le droit international ne se fonde donc pas, de facto, sur des principes universels. Il reflète l’opinion des pays occidentaux quant à des comportements moralement acceptables par leur culture. Depuis la Première Guerre mondiale, une conception américaine du droit international a vu le jour, mettant l’accent sur les droits humains, l’humanitarisme et la foi dans la raison. La démocratie s’est imposée comme structure sociale.
Dans ce contexte, les normes «internationales» de droits de l’Homme ne paraissent ni pertinentes ni applicables aux Etats islamiques car le monde musulman a été exclu de l’élaboration d’une jurisprudence mondiale.
Le droit international est-il adéquat pour tous?
L’antinomie entre le droit international et le droit islamique rend l’application des droits de l’Homme délicate, pour ne pas dire improbable, dans les pays islamiques.
Le droit international est, par définition, un processus flexible. Il résulte de l’évolution historique, politique et culturelle, tandis que la charia (i.e. la loi islamique) est enracinée dans un contexte historique, politique et culturel particulier, qui ne tient pas compte de l’évolution de l’histoire humaine. Elle se base sur le Coran et la Sunna (i.e. les règles de l’islam).
Les pays islamiques ont, tout d’abord, une conception particulière de la justice. L’islam ne traite pas des droits individuels tels que le font les pays occidentaux. Les musulmans ne sont pas considérés comme des individus à part entière, ou comme des citoyens, mais comme les composants d’une entité plus vaste, la Oumma (i.e. la communauté des croyants).
Et au sein de cette communauté de religion, les droits humains traitent avant tout des devoirs envers Dieu.
L’approche occidentale est différente: l’avancée des droits de l’Homme est le résultat de batailles politiques, telles la Révolution française en 1789 ou de la Seconde Guerre mondiale.
Le concept de «liberté» en Islam est donc largement différent de la notion moderne de liberté individuelle, héritage des Lumières promu par la Charte des Nations Unies.
De fait, les savants musulmans ont longtemps ignoré le sens juridique ainsi que le concept politique et philosophique de la liberté. Celle-ci n’étant connue que comme le contraire de l’esclavage.
Une autre différence importante qu’il convient de souligner est que les musulmans ne jouissent d’aucune autorité politique, contrairement à leurs homologues occidentaux. L’Article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme stipule que «[l]a volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics».
La structure du pouvoir ainsi que les relations sociales et économiques des pays occidentaux sont basées sur l’autonomie individuelle, l’égalité, le libre arbitre et la laïcité. Les pays occidentaux ont ainsi établi des organismes internationaux afin de sanctionner le non-respect des droits de l’Homme.
Cette notion d’autorité politique entre directement en conflit avec le principe islamique de justice politique. Dans les pays musulmans, l’autorité appartient au peuple mais ne provient pas du peuple. Dieu définit le pouvoir politique.
En Islam, l’individu n’est donc guère l’acteur principal de l’élaboration des lois. L’homme ou la femme musulmane n’existe qu’au sein de la communauté religieuse au sens large.
Le droit international ne peut donc pas statuer sur les comportements des individus vivant dans les sociétés islamiques, le monde islamique rejetant le fondement même du droit international.
Désaccords sur les droits de l’Homme
Le contexte historique dans lequel la charia a été développée en 622 explique – sans pour autant légitimer – l’attitude conservatrice des Etats musulmans quant aux droits de l’Homme.
Au début du VIIe siècle, les sociétés préislamiques d’Arabie vivaient dans l’âge de l’ignorance («Jahiliyyah» en arabe). L’immoralité et la débauche sexuelle y abondaient.
Malgré quelques indications dans les textes islamiques qui révèlent que les femmes occupaient des postes élevés dans la société, la discrimination envers les femmes était très répandue. Les arabes pratiquaient l’infanticide des filles et la polygamie, pour ne citer que deux exemples. Les femmes ne pouvaient que rarement choisir leur mari, divorcer librement ou hériter de leur famille.
Ainsi, les pays musulmans considèrent que la Déclaration universelle des droits de l’Homme ne tient pas compte du contexte culturel et historique des Etats islamiques. Ils affirment que les musulmans ne peuvent approuver cette déclaration sans transgresser le droit islamique.
L’égalité des sexes, à titre d’exemple, est en contradiction avec le droit islamique à l’égard du rôle et du statut des femmes. La Déclaration des droits de l’Homme en islam, adoptée au Caire en 1990 par l’organisation de la conférence islamique, offre sa perspective islamique sur les droits de l’Homme. Elle stipule que «tous les hommes sont égaux» plutôt que «tous les hommes et les femmes» tel que le souligne la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Le Coran énonce que les femmes musulmanes ont une pleine capacité juridique en matières civiles et commerciales. Pourtant, elles ne jouissent pas des mêmes droits quant à leur relation avec les hommes. Par exemple, un homme musulman peut épouser une chrétienne ou une juive mais une musulmane ne peut épouser un non-musulman.
Un musulman peut épouser jusqu’à quatre femmes simultanément, mais une musulmane ne peut se marier qu’à un seul homme à la fois. Un musulman peut divorcer de sa femme ou de ses femmes grâce à la répudiation unilatérale («talaq» en arabe) sans justifier de son action.
Néanmoins, la répudiation n’existe plus dans certains pays musulmans plus libéraux, tels que le Maroc depuis le nouveau code de la Famille promulgué par la Loi 70-03 du 3 février 2004. Il n’existe plus qu’un divorce juridique. En Tunisie, de même, la réputation n’existe plus depuis l’ancien président Habib Bourguiba.
Une musulmane, en revanche, ne peut divorcer que si elle obtient le consentement de son mari ou par décision judiciaire si son mari est physiquement incapable ou refuse de s’occuper d’elle, dans les pays qui appliquent strictement la Sharia.
En outre, une musulmane hérite deux fois moins qu’un musulman. Dans l’Arabie ante islamique, cela ne signifiait pas que la femme valait moins qu’un homme. Une felle n’héritait que de la moitié de la part d’un homme car elle était toujours prise en charge par un homme. Si son mari décédait, le frère du défunt l’épousait. En d’autres termes, elle ne restait jamais sans soutien financier légal. Bien que les temps ont changé, la loi n’a guère évolué car il s’agit là d’un précepte coranique, c’est-à-dire d’un précepte que le prophète lui-même a édicté, et donc incontournable dans tout pays musulman.
La Cour Suprême constitutionnelle d’Egypte en est un exemple concret. En tant que gardienne de la conformité de la loi aux préceptes coraniques, elle s’assure qu’il soit très difficile pour les femmes de divorcer.
Conformément à la charia, l’article 18 de la loi n° 25 de 1929 en Egypte stipule qu’une femme répudiée doit observer une période d’attente («idda» en arabe) de trois mois, au cours de laquelle elle n’est pas autorisée à épouser un autre homme. Cette période d’attente est justifiée par le fait qu’un enfant, en droit musulman, n’est légitime que s’il naît dans le cadre du mariage. L’idda sert donc à déceler une éventuelle grossesse pour en attribuer la paternité au père. Si la femme initie un divorce pour faute, elle doit fournir la preuve d’un préjudice de son mari, souvent grâce à des témoignages oculaires, dans les pays qui appliquent littéralement la Sharia.
Les références et les principes de la loi islamique évoqués ci-dessus mettent en évidence la dichotomie idéologique entre les droits de l’Homme et le droit islamique, dichotomie qui pourrait expliquer les nombreuses violations des droits de l’Homme dans le monde musulman.
Cet article a été publié dans The Huffington Post le 19 août 2014. Cliquez ici.
La partie II de cette analyse explore les manières d’appliquer et de faire respecter les droits de l’Homme dans les pays musulmans.