Israël/Liban: Que dit le droit?
BEYROUTH – Le ton monte entre Israël et le Liban. Le ministre libanais de l’Energie, Gebran Bassil, a prévenu le mois dernier que le forage de gaz naturel qu’opère Israël à l’Est de la Méditerranée pourrait empiéter sur les réservoirs du Liban. Si cette exploitation perdurait, elle pourrait déclencher un nouveau conflit entre les deux voisins, tous deux pauvres en ressources.
En mai 2013, Israël a achevé le forage exploratoire de Karish, la nouvelle découverte de gaz offshore dans la Méditerranée. Ce champ gazier est situé à environ 75 km de la côte israélienne de Haïfa, ainsi qu’à près de 4 km de la frontière libanaise. Les enjeux économiques sont gigantesques. Ce gisement est censé contenir près de 1.5 à 2 mille milliards (pieds cubiques) de gaz naturel.
Source: Turkish Central News
Or les deux pays, techniquement en guerre, ne sont pas d’accord sur leurs frontières maritimes.
Les champs gaziers Tamar et Leviathan, découverts respectivement en 2009 et 2010, sont un autre sujet de discorde. Ils sont respectivement situés à 90 et 30 kilomètres au large des côtes de Haïfa. Le gouvernement du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a signé un accord avec la compagnie d’énergie américaine Noble afin de forer dans le gisement de Tamar. Le Liban, quant à lui, conteste ce droit, affirmant que ces ressources gazières se trouvent sur son territoire côtier.
La société Noble, avec ses partenaires israéliens, a estimé que les ressources naturelles de ces deux champs pouvaient atteindre 45 milliards de dollars. Autant de richesses pourraient générer des profits notoirement élevés pour l’État du cèdre, qui souffre d’un des taux d’endettement les plus élevés au monde (environ 58 milliards de dollars en janvier 2013 soit 158% de son produit intérieur brut).
Elles pourraient également faire d’Israël un pays exportateur alors que l’Etat dépend, jusqu’à présent, des importations de gaz naturel en provenance d’Égypte. Cela lui fournirait aussi à la fois un pouvoir économique et politique et une arme diplomatique pour la paix au Moyen-Orient. L’Etat hébreu considère aujourd’hui l’indépendance énergétique une priorité, compte tenu des troubles qui frappent actuellement l’Égypte et qui ont perturbé l’exportation de gaz.
Qu’en est-il du droit international?
La Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) de 1982 établit qu’un État peut exploiter les ressources naturelles découvertes dans les eaux qui se trouvent à près de 370 kilomètres de sa rive, appelée zone économique exclusive (ZEE). Le Liban a ratifié cette convention le 5 janvier 1995, alors qu’Israël est non signataire.
L’article 55 de la CNUDM dispose que la ZEE est «une zone située au-delà de la mer territoriale et adjacente à celle-ci, soumise au régime juridique particulier établi par la présente partie, en vertu duquel les droits et la juridiction de l’État côtier et les droits et libertés des autres États sont gouvernés par les dispositions pertinentes de la convention.»
Néanmoins, tant que le Liban et Israël ne délimitent pas leurs frontières maritimes, ils ne peuvent déterminer leur ZEE respective ni savoir lequel d’entre eux a le droit de bénéficier des ressources naturelles que recèlent les fonds marins.
En effet, l’article 56-1-A de la CNUDM souligne que les États dont la ZEE est délimitée ont «des droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu’en ce qui concerne d’autres activités tendant à l’exploration et à l’exploitation de la zone à des fins économiques, telles que la production d’énergie à partir de l’eau, des courants et des vents».
Si l’on s’en tient à cette définition, ni l’Etat du cèdre ni l’Etat hébreu « n’est légalement autorisé à opérer sous le sol marin situé hors de leurs eaux territoriales», explique le procureur Antonios Abou Kasm, Conseiller juridique international.
En outre, le seul armistice signé entre Israël et le Liban stipule qu’aucun parti ne peut passer par la ligne de démarcation convenue par l’armistice ou à travers les eaux qui sont à environ 4,8 km de la côte de l’autre pays.
Il est donc essentiel que chaque voisin définisse sa ZEE avec l’approbation de l’autre Etat, et soumette une carte à l’ONU, souligne le procureur Raymond Medlej, spécialisé en droit maritime et en arbitrage.
Bien qu’Israël ait déjà commencé à pomper du gaz naturel du gisement Tamar en Mars 2013 et compte effectuer une exploration pétrolière dans le champ Léviathan à la fin de cette année, une exploration sismique a démontré que les deux champs de gaz naturel s’étendent aussi sur la côte libanaise, explique Medlej.
Il fait ainsi référence à un balayage sismique des fonds marins du Liban réalisé par les experts britanniques Spectrum. Cette étude a établi que les caractéristiques géologiques du pays indiquent un potentiel pour les hydrocarbures. Cependant, la présence de gaz ou de pétrole ne peut être déterminée qu’après avoir effectué un forage.
Israël et le Liban sont-ils dans l’impasse?
Bien que la Cour internationale de justice (CIJ) soit en charge de résoudre les litiges liés à la démarcation des frontières maritimes, ni le Liban ni Israël ne reconnaissent la compétence de cette Cour, souligne Abou Kasm. Si le Liban présentait une requête devant la CIJ afin de régler le différend frontalier maritime, Israël devrait reconnaître l’autorité de la Cour. «Nous ne pouvons nous attendre à une position négative», ajoute t-il.
L’ONU semble, cependant, l’option la plus judicieuse afin de régler pacifiquement cette question, puisque l’article 37 de la Charte des Nations Unies stipule: «Si le Conseil de sécurité estime que la prolongation du différend semble, en fait, menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales, il décide s’il doit agir».
Au vu de ce contexte, Abou Kasm suggère que le gouvernement libanais requière du Conseil de sécurité la création d’une commission chargée de délimiter les frontières entre Israël et le Liban, tout comme l’ONU l’a fait pour l’Irak et le Koweït en 1992, par la résolution 833 du Conseil de sécurité. Celle-ci marque les coordonnées précises de la frontière entre ces deux pays et les oblige à respecter l’inviolabilité des frontières internationales.
Medlej soutient, en outre, qu’il est possible de mettre un terme à l’impasse actuelle si la délimitation de la frontière entre Israël et le Liban était à l’ordre du jour de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). Le Liban a déjà demandé en 2010 que la FINUL règle cet imbroglio juridique. La porte-parole adjointe de la FINUL a, peu après cette requête, expliqué que les troupes de la FINUL n’étaient point responsables de cette tache.
Une option plus pratique serait de ratifier la CNUDM, la Convention qui fournit aux nations les lignes directrices afin de gérer leurs ressources naturelles maritimes. Elle est, à vrai dire, d’une importance capitale car elle réglemente les grands principes du droit coutumier maritime.
Malgré le fait qu’Israël n’ait pas ratifié la CNUDM, le pays « est toutefois lié par la plupart des dispositions de la Convention, dans la mesure où le texte est basé sur des règles de droit coutumier qui ont une valeur universelle», explique Zineb Hamri, procureur et doctorante en droit maritime.
Vu sous cet angle, l’Etat hébreu serait contraint de se conformer au droit maritime international. Le Tribunal international du droit de la mer, une institution de jugement indépendante établit par la CNUDM, pourrait alors statuer sur le différend entre les deux voisins.
Malédiction ou bénédiction?
Dans la course au profit de cette manne, le Liban est bien en retard sur Israël. Ce dernier a déjà entreprit le forage de gisement gazier alors que le premier n’a pas encore identifié les blocs, trouvé de potentiel investisseurs, sélectionné les soumissionnaires et commencé l’exploration de son territoire maritime. Il est également essentiel que le cabinet libanais approuve un document définissant les paramètres pour 10 blocs d’exploration, et surmonte les différends au sujet du choix des entreprises en charge de l’arpentage.
Par ailleurs, l’instabilité politique a provoqué davantage de retard en bloquant les décisions gouvernementales à ce sujet, avec la démission de l’ancien Premier ministre Najib Mikati en Mars 2013. Ironiquement, alors que les Israéliens considèrent la découverte de gisements de gaz comme étant une question de souveraineté nationale, leurs homologues libanais estiment qu’elle fomente des conflits sectaires pour le contrôle des ressources.
Cet article a été publié au sein de The Huffington Post le 16 Août 2013. La version électronique est disponible ici.