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Détérioration de la situation économique en Grèce et augmentation du taux de suicide avec l’austérité

ATHENES – À quelques kilomètres du berceau de la civilisation grecque, sur la mer Egée, les voiliers tanguent, bercés par le vent.

Les touristes, écrasés par la chaleur et de la beauté des paysages, naviguent vers les îles pour se prélasser au soleil et manger la feta et le souvlaki – le plat national de viande grillée en brochette. Ils sont bien loin de la réalité qui tue le peuple grec, à petit à feu.

«Le referendum revient à être dans un navire en détresse avec [le premier ministre Alexis] Tsipras comme seul capitaine», souligne Nicos Agas, agriculteur et viticulteur sur l’île reculée de Folégandros. Le 5 juillet 2015, les Grecs ont crié en masse haro sur les mesures d’austérité de la Banque centrale européenne, l’Union européenne et du Fonds monétaire international – les créanciers de la Grèce surnommés la troïka – qui exigeaient de leur pays, lors un referendum crucial.

La République hellénique est engloutie par une interminable crise de la dette depuis 2010. Le gouvernement a alors sonné l’alarme, car il était en déficit. En janvier 2015, le parti anti-austérité de gauche Syriza a remporté l’élection générale, faisant ainsi renaitre l’espoir des Grecs.

Pourtant, aujourd’hui, certains n’ont plus la foi. «Depuis janvier, chaque jour est pire que le précédent», explique George Natsas, un marin reconverti de 71 ans. Il a été forcé de prendre sa retraite en 2009 après avoir travaillé pendant des décennies pour une société d’informatique allemande en Grèce. Son entreprise lui a annoncé qu’elle allait lui verser les deux années de salaire qui lui revenaient jusqu’à l’âge de la retraite.

En raison de la situation actuelle, la retraite de George est passée de 2 000 € par mois à 1 200 €. Elle pourrait se réduire davantage avec le plan d’austérité que le Parlement a approuvé le 15 juillet 2015. La troïka a, en effet, fustigé la Grèce pour ses lourdes dépenses de retraite et a exigé que le pays méditerranéen révise son régime de retraite.

La Grèce offre l’un des systèmes de retraite les plus généreux en Europe – il pèse 17,5% de son PIB – selon les données d’Eurostat de 2012. C’est un poids considérable dans une société où 20% de la population est âgée de plus de 65 ans, l’un des chiffres les plus élevés dans l’UE.

Toutefois, «les dettes sont des dettes et elles doivent être remboursés», dit George. Il explique que lors des dernières décennies, les politiciens grecs «ont donné de l’argent aux gens, mais pas de solutions» aux problèmes engrainés du pays.

Sur le chemin de la reprise?

La décision du Parlement grec d’assurer un fonds de sauvetage de 5,8 milliards d’euros en échange de la mise en œuvre de politiques économiques rigoureuses a provoqué de nouvelles manifestations anti-austérité dans la capitale. L’entrée du bâtiment était en feu alors que des groupes de militants jetaient des cocktails molotov sur la police, dans la nuit du vote parlementaire.

Les mesures d’austérité consistent à fortement réduire les dépenses publiques, à savoir les salaires de 25 000 employés du secteur public, et à augmenter les impôts. En outre, la république hellénique a jusqu’au 20 août 2015 pour rembourse 3,2 milliards d’euros à la BCE.

Les succursales des banques en Grèce ont rouvert après trois semaines de fermeture forcée. Elles permettent désormais des limites de retrait légèrement plus souples: les Grecs peuvent retirer 120 euros par jour, contre 60 auparavant. Dans la plupart des magasins et restaurants, les propriétaires n’acceptent plus les cartes de crédit, de peur de ne pas pouvoir encaisser d’espèces.

Des impôts plus élevés

Bien que la Grèce ait coché quelques cases requises par l’UE afin d’obtenir un plan de sauvetage financier, l’économie, en récession, demeure affaiblie. Comme le pays continue d’emprunter auprès de créanciers étrangers, il est probable que son économie se contracte davantage et que sa dette augmente.

À titre d’exemple, la crise affecte particulièrement les propriétaires de petites entreprises – l’épine dorsale de l’économie grecque. Beaucoup sont forcés de mettre fin à leurs activités en raison des restrictions imposées pour envoyer des capitaux à l’étranger. Constantinos Michalos, le président de la Chambre de Commerce d’Athènes, a écrit, dans une lettre au ministère des Finances de la Grèce, que ces contraintes créent «d’énormes problèmes» pour les entrepreneurs qui comptent sur les fournisseurs étrangers.

Emblématique de cette situation économique désastreuse, les derniers produits manquent dans un magasin d’électronique dans le centre d’Athènes. «Nous ne pouvons même pas atteindre les objectifs les plus élémentaires», explique le manageur, qui ne dispose pas des espèces suffisantes pour importer les produits électroniques étrangers dont son entreprise dépend.

«Les gens se ne sentent malheureux et leur humeur a changé car la crise les affecte», explique Costa, un chauffeur de taxi athénien de 43 ans. Il a été forcé de démissionner après avoir travaillé pendant 25 ans dans une entreprise de construction, car tous les projets ont été interrompus en raison de la crise. Il a décidé de devenir chauffeur de taxi après avoir été au chômage pendant près de quatre ans.

«Je pense qu’avec ces nouvelles mesures d’austérité, les gens vont probablement payer encore moins d’impôts afin de se rebeller contre la situation actuelle», indique t-il. À la fin de la course, il déchire le reçu de taxi afin de ne payer la taxe. «Tout revient à l’Etat», se plaint-il. Avec la récente hausse de la taxe sur la valeur ajoutée, de 13% à 23%, Costa gagne moins et ses clients paient plus, dit-il. L’augmentation des taxes est une autre mesure que le Parlement grec a adoptée dans le cadre du plan de sauvetage afin de montrer à ses créanciers que la Grèce compte réellement se réformer.

Pourtant, l’évasion fiscale est un mal chronique dont la Grèce a été aux prises depuis longtemps. Alors que la majorité des Grecs paient leurs impôts normalement, certains entrepreneurs, professions libérales et grandes entreprises ne déclarent pas leur revenu réel, promouvant ainsi cette pratique endémique.

«Les taxes […] sont trop lourdes et diminuent notre compétitivité et notre attractivité», affirme Petros Doukas, ancien ministre adjoint des Finances et des Affaires étrangères de Grèce, lors d’un entretien, bien qu’il reconnaisse que les mesures soient dures. «En ce qui concerne les réformes, nous aurions du les adopter il y a 30 ans», ajoute-il. «Nos conditions de vie ont été sous forte pression depuis presque six ans maintenant, et continueront d’être sous forte pression», explique M. Doukas, actuellement président de Capital Partners SA, une société polonaise de capital d’investissement.

Afin de faire face à la rapide inflation dont souffre le pays depuis février 2013, les propriétaires de restaurants écrivent désormais leurs prix à la craie sur un tableau noir. Il est également fréquent de voir les menus des restaurants avec de nouveaux prix – plus élevés – écrits sur une étiquette recouvrant les anciens prix.

Désobéissance civile

Le taux de suicide dans la république hellénique a augmente de 35% en moins de deux ans, selon un rapport du site Internet Medscape publié en juin 2015. En outre, le taux de chômage record est de 26%, selon les derniers chiffres de l’Agence de statistiques de l’UE. Celui-ci a triplé depuis 2009, incitant ainsi la création du mouvement «Nous ne paierons pas» en réaction aux exténuantes mesures d’austérité.

Ses 10 000 membres bloquent les péages routiers afin de laisser les conducteurs passer gratuitement. Ils reconnectent l’énergie des maisons de quartiers de bas niveau social. Ils couvrent aussi les distributeurs automatiques de billets de métro et bus de sacs plastique pour empêcher les gens de payer. Les médecins ont également pris part à la lutte en aidant les patients à ne pas payer leurs frais d’hospitalisation.

Afin de souligner l’opposition des Grecs à l’adoption des mesures parlementaires sévères, un graffiti noir indique: «Nous ne travaillerons pas le dimanche» sur un mur de la place touristique, sous l’Acropole d’Athènes. Dans le cadre du plan de sauvetage, le dimanche, longtemps considéré comme jour du seigneur et de la famille, est devenu un jour ouvrable afin de relancer l’économie.

Ces réformes encouragent les Grecs à travailler davantage, malgré le fait qu’ils travaillent déjà plus d’heures que leurs homologues européens. Les Grecs ont travaillé 44,2 heures par semaine l’an dernier, en comparaison des 41,5 heures pour les Allemands et 41,2 heures en moyenne pour le reste des pays européens.

«Cette situation est très injuste car les politiciens ont été des voleurs et des corrompus ces 30 dernières années. Les gens ne sont pas responsables», dit Démétrius, un conducteur de taxi athénien âgé de 58 ans. «Oui, nous avons voté pour eux, mais ils nous ont menti», ajoute t-il.

Un rapport de l’organisation Transparency International intitulé Indice de perceptions de la corruption 2014 indique que la Grèce est en bas de la liste européenne quant à la perception de la corruption publique. Le pays est sur un pied d’égalité avec l’Italie.

«Nous avons toujours une solution»

«Nous devons nous réformer radicalement et l’Europe doit nous aider à relancer notre système bancaire sans un haircut et restructurer notre dette en […] réduisant les taux d’intérêt de 1,9% à, disons, 0,8%», explique M. Doukas, ancien ministre adjoint des Finances et des Affaires étrangères de Grèce.

Alors que certains titres de journaux nationaux prévoient une catastrophe dans le pays et l’UE, la place centrale de Plateia Agiou Konstantinou, à Athènes, est remplie de jeunes Grecs qui trempent leur pain pita dans de la sauce tzatziki et boivent de la bière dans les bars, un mardi soir.

À quelques heures de bateau d’Athènes, sur l’île de Folegandros, six Grecs et étrangers sont perplexes lorsqu’ils entrent dans un restaurant et constatent qu’une seule table de quatre personnes est disponible. Le serveur se précipite alors pour rallonger la table en bois extensible, la transformant en une table de six personnes. «Nous sommes grecs, nous avons toujours une solution», dit-il, avec un sourire au coin des lèvres.

 

Cet article a été publié dans The Huffington Post le 30 juillet 2015. Cliquez ici.

Kamilia Lahrichi

Kamilia Lahrichi is a foreign correspondent and a freelance multimedia journalist. She's covered current affairs on five continents in English, French, Spanish and Arabic.

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