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L’islam politique: un échec?

L’islam politique ne perd guère de son emprise sur le monde musulman. Ce qui est en cause, aujourd’hui, c’est la politique de certains partis d’inspiration islamique. Si ces partis ont été vivement controversés en Egypte, en Turquie et en Tunisie au cours des derniers mois, leur échec à gouverner convenablement est davantage politique que religieux.

La pléthore d’informations préconisant “l’échec”, la “fin” ou la “chute” de l’islam politique en Egypte et au Moyen-Orient nécessite un regard plus critique sur les récents événements régionaux. L’islam politique, qui fait référence à l’intrusion de la religion en tant que système politique au sein du domaine politique, demeure populaire parmi les musulmans: “din wa dawla”, en arabe ou “religion et Etat”.

Près d’un mois avant la dernière vague de manifestations qui a déposé le président Mohamed Morsi, affilié aux Frères musulmans en Egypte, 74% des Egyptiens avaient annoncé qu’ils souhaitaient que l’islam façonne la politique. Un même nombre avait déclaré vouloir adopter la charia (la loi islamique) en tant que loi officielle du pays. Telles sont les conclusions d’un sondage du Pew Research Institute publié le 30 avril 2013.

Selon cette étude, trois-quarts des sondés égyptiens, interrogés au cours du mandat de Morsi, ont en outre déclaré qu’ils voulaient que les chefs religieux influencent la politique (28% ont affirmé vouloir que les chefs religieux aient une influence “importante” et 47% que les chefs religieux aient “quelque peu” d’influence). 55% des sondés égyptiens, enfin, ont indiqué préférer les partis islamiques aux partis laïcs.

Une perte de crédibilité politique

En réalité, Morsi a été renversé par les militaires le 3 juillet 2013 plus en raison du bilan catastrophique de sa première année au pouvoir que pour son affiliation religieuse. La société égyptienne a toujours été très conservatrice et pieuse, raison pour laquelle la plupart des femmes égyptiennes protestant contre Morsi sont des musulmanes voilées et pratiquantes.

En un an, le président déchu a étendu ses pouvoirs, ignoré le mécontentement public, et n’a réussi ni à sécuriser le pays ni à améliorer la dramatique situation économique. Il est à penser qu’il serait probablement toujours au pouvoir, aujourd’hui, s’il avait eu un solide programme politique et économique.

Il en va de même pour les manifestations anti-gouvernementales qui ont secoué le Maroc à la fin de l’année 2012: durant ces manifestations, des centaines de milliers de Marocains ont réclamé davantage de réformes démocratiques, sans jamais remettre en question le statut religieux du roi en tant que “commandeur des croyants”.

Il faut admettre que les électeurs tunisiens, égyptiens et marocains, bien que religieux, n’ont pas opté pour une islamisation de leurs sociétés et de leurs milieux politiques. Ils ont voté pour des partis islamistes, qui représentaient, pour eux, la seule alternative politique viable contre les partis laïques corrompus.

Que ce soit Ennahda en Tunisie ou le Parti de la Justice et du Développement au Maroc, ces partis religieux ont instrumentalisé l’islam à des fins politiques. Ils se sont octroyés le monopole de la foi, de la moralité et de la justice, des valeurs dont les gouvernements autocratiques précédents étaient dépourvus, afin de gagner les voix des électeurs désillusionnés.

L’islam politique fonctionne t-il?

S’il est patent que les partis islamiques d’Afrique du Nord ont perdu la confiance de certains de leurs électeurs, pour autant ce constat ne sonne guère le glas de l’islam politique. Ce dernier peut être une option, à condition d’offrir un programme politique et économique cohérent.

Bien que la Turquie, dirigée par un parti islamiste depuis novembre 2002, reste le modèle pour illustrer la réussite de l’islam politique, les récentes manifestations anti-gouvernementales à travers le pays mettent en lumière les conditions selon lesquelles l’islam politique fonctionne.

En juin 2013, des millions de Turcs ont manifesté, entre autres revendications, contre les attaques répétées du gouvernement envers la laïcité et les libertés civiles et politiques des citoyens.

Alors que la Turquie s’apprête à abandonner ses rêves européens, le président Recep Tayyip Erdogan a pris des mesures politiques controversées, telles que la création de plages non mixtes, les avertissements contre les démonstrations d’affection publiques et l’interdiction de la vente d’alcool après 22h. Erdogan a également exhorté les Turques à avoir au moins trois enfants, imposant ainsi un modèle familial traditionnel.

Pourtant, Erdogan, le conservateur social, est toujours au pouvoir, contrairement à Morsi, et ceci principalement parce que la Turquie a un PIB plus de trois fois supérieur à celui de l’Egypte. Au cours des dix dernières années, l’économie turque est devenue la 17e au monde et le pays a réussi à rembourser sa dette de 23,5 milliards de dollars au FMI en pleine crise économique mondiale.

Qui crie au loup…

Il est donc essentiel de comprendre que l’islam demeure une composante majeure des sociétés et des politiques du monde musulman. Il ne saurait être éradiqué par l’effondrement d’un seul parti islamique. A vrai dire, si un régime strictement laïc prenait le pouvoir sur le long terme, il pourrait être rejeté par un électorat conservateur, particulièrement en Egypte où les partisans de Morsi continuent de défier l’autorité de l’armée.

Cet article a été publié au sein de The Huffington Post (Maghreb) le 14 Août 2013. La version électronique est disponible ici.  Il a été republié au sein de The Huffington Post (Québec) le 18 Août 2013 ici.

 

Kamilia Lahrichi

Kamilia Lahrichi is a foreign correspondent and a freelance multimedia journalist. She's covered current affairs on five continents in English, French, Spanish and Arabic.

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