L’Argentine a soif de dollars américains alors que l’inflation frappe fort
BUENOS AIRES – Il est fréquent d’entendre des personnes crier « cambio, cambio, cambio » (« change de devise » en espagnol) dans les rues commerciales bondées de Buenos Aires afin d’offrir des taux de change illégaux, malgré la présence de policiers à leur coté.
Ces « arbolitos » (« petits arbres » en espagnol) affirment échanger de l’argent au meilleur taux du marché noir. Ils se postent dans un coin de rue et interpellent les passants toute la journée.
Alors que l’inflation frappe durement l’Argentine, touristes, expatriés et Argentins recourent à des moyens illégaux pour changer de l’argent au taux le plus intéressant. Le peso fluctuant considérablement, la plupart des résidents économisent en dollars américains et ont donc besoin de changer leur salaire en pesos.
Les chiffres officiels douteux de l’Agence nationale des statistiques (INDEC) estimaient que les prix à la consommation avaient augmenté de 16,7% en juillet 2014 par rapport au début de la même année. Force est de constater que l’INDEC altère les données sur l’inflation. Certains analystes estiment que l’inflation se situe entre 30% et 40% – l’un des taux d’inflation les plus rapides au monde. Certains restaurants écrivent même leur menu sur un tableau, car les prix augmentent chaque mois.
Le peso argentin est une monnaie instable depuis qu’il a été désindexé du dollar américain après la crise économique de 2001-2002 en Argentine. La nation sud-américaine est en situation de défaut de paiement de sa dette depuis treize ans, s’ostracisant ainsi des marchés financiers internationaux. Les Argentins ont alors tenté de retirer leurs épargnes des banques au même moment. Par la suite, le gouvernement et les institutions financières ont limité le montant que les résidents argentins pouvaient retirer de leur banque.
En 2012, la Banque centrale argentine a interdit à quiconque dans le pays d’échanger des pesos et de thésauriser des dollars américains afin d’empêcher la fuite des capitaux et protéger les réserves de change de la nation.
Un secret de Polichinelle
L’économie bancale argentine a donc conduit à la création d’un marché noir avec un taux de change parallèle. Ce taux appelé « dollar bleu » s’élevait à 13,2 pesos pour un dollar le 4 février 2015 – comparé à 8,5 pesos pour un dollar – pour le taux de change officiel à cette même date.
Nonobstant le fait que les autorités tolèrent ce marché alternatif, changer de l’argent au taux non officiel est illégal en Argentine. Une loi de 1995 stipule que les institutions financières menant de telles activités seront punies par une amende ou par une peine allant jusqu’à quatre ans de prison ferme. Pourtant, ce taux de change « bleu » est si populaire que les journaux quotidiens, tels que La Nacion, publient les deux taux de change sur leur site internet. Le taux du « dollar bleu » est également mis à jour en direct en ligne. Celui-ci dispose d’un compte Twitter – @DolarBlue – et d’une page Facebook qui compte plus de 31 000 fans.
Le change de devises est une telle obsession dans la nation sud-américaine que les Argentins demandent ouvertement aux étrangers vivant dans le pays comment ils sont rémunérés et comment ils retirent leur argent. « C’est une terrible erreur! », s’exclament certains lorsqu’un étranger admet utiliser sa carte de crédit étrangère – facturée au taux de change officiel.
Pourquoi obtenir 8 pesos lorsque l’on peut en avoir 13?
Pour contourner le taux de change officiel, les résidents d’Argentine vont dans une « cueva » (« cave » en espagnol), ces maisons de change qui fleurissent dans tout le pays. Sur la rue marchande Florida, dans le centre de la capitale, certains passants se risquent à suivre des « arbolitos » dans un lieu suspect, souvent dans une rue voisine, afin d’y échanger illégalement des devises au meilleur taux.
Là, des blanchisseurs d’argent vont et viennent pour échanger dollars américains, euros ou pesos argentins. Un homme, généralement assis derrière un bureau au fond de l’appartement, compte à toute vitesse des liasses de billets. « Nous voulons profiter au maximum de nos vacances, » explique un touriste brésilien qui attend son tour pour changer ses reals brésiliens, dans une pièce humide sans fenêtre. « C’est bien moins cher pour nous ici, » ajoute t-il.
En cas de répression policière, la plupart de ces « caves » ressemblent à des entreprises en plein travail. Celles-ci fonctionnent généralement sous couvert d’agences de voyage qui attirent, étonnamment, de nombreux clients malgré le ralentissement économique du pays. Certaines de ces maisons d’échange de devises illicites y gagnent considérablement, car elles changent d’importantes sommes d’argent pour des Argentins qui travaillent, à titre d’exemple, dans le secteur hôtelier, et sont souvent payés en espèces en dollars américains.
Dans une « cave » du quartier Microcentro de Buenos Aires, il faut passer par deux portes de sécurité blindées avec des caméras de surveillance afin d’entrer. L’endroit est censé être une société d’assistance de capitaux, avec une réceptionniste à l’entrée. Là, les blanchisseurs d’argent ont des compteurs de billets et les clients entrent et sortent avec des sacs pleins.
Afin de contourner la stricte politique monétaire du gouvernement, des entreprises comme Mobile Wechselstube (« bureau de change» en allemand) offrent une autre option aux Argentins, et aux étrangers en particulier. Les titulaires d’un compte bancaire étranger peuvent se faire livrer des pesos argentins qu’ils échangent au « dollar bleu ».
Aussi surréaliste que cela puisse paraître, d’autres résidents en Argentine se transfèrent à eux-mêmes de l’argent via Western Union vers un compte bancaire qu’ils ont ouvert en Uruguay, pays voisin de l’Argentine. Ils traversent ensuite la rivière en ferry – il faut près d’une heure pour aller de Buenos Aires à Montevideo – afin de retirer leur argent en dollars américains.
« C’est désespérant mais c’est la seule chose que je puisse faire », explique Gloria, une journaliste argentine qui voyage régulièrement en Amérique latine et a donc souvent besoin de changer des espèces.
Cet article a été publié dans The Huffington Post le 7 février 2015. Cliquez ici.