Développement « équitable » et sécurité : Benkirane se prononce à l’ONU
NATIONS UNIES – C’est suite à un rebondissement royal que le chef du gouvernement marocain s’est retrouvé en costume bleu et cravate bordeaux avec le discours du roi en main à la tribune des Nations unies dans la grande pomme le 25 Septembre.
Sans aucune explication publique, le souverain a annulé un jour avant son voyage sa participation au rendez-vous diplomatique annuel.
S’adressant à pratiquement tous les chefs d’Etat à l’Assemblée générale, M. Abdelilah Benkirane a souligné l’importance d’un développement « équitable » pour les pays du Sud. Il a aussi critiqué les « recettes toutes prêtes » en matière de croissance des pays occidentaux. A moins de 100 jours de l’échéance de l’ambitieux programme des Objectifs du millénaire du développement (OMD), la 69eAssemblée générale s’est focalisée sur la question du développement humain durable après 2015.
A chacun son modèle de développement
M. Benkirane a remis en question le modèle occidental de développement et a insisté sur le fait que la communauté internationale devait respecter « les valeurs civilisationnelles et les spécificités » culturelles et sociales de chaque nation, notamment en Afrique. « Il n’existe [pas] un seul et unique modèle en la matière », a t-il dit. « Ce qui vaut pour l’Occident » ne peut pas être le seul critère pour déterminer d’autres modèles de développement.
Le chef du gouvernement pointer du doigt le système de classement de Etats par les agences de notation internationales telles que Standard and Poor et Fitch. Il y a près de deux mois, elles ont déclaré l’Argentine en défaut sélectif, affectant ainsi sa croissance économique. Soulignant la limite de leurs critères, M. Benkirane a blâmé « leur décalage par rapport à la réalité des Etats du Sud ».
Il a préconisé de prendre en considération « le capital immatériel » tel que la sécurité, la stabilité et la qualité de la vie, dans les classements de la richesse des Etats. En référence probable au Sahara et aux conflits actuels qui ravagent le Moyen Orient, M. Benkirane a rappelé que le développement est « lié au respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Etats ».
Toutefois, force est de rappeler qu’il y a plusieurs études internationales, tels que le rapport sur le développement humain des Nations unies, qui prennent en compte les critères ci-dessous ainsi que les spécificités locales. Les huit OMD, à titre d’exemple, ont pour objectif de réduire la mortalité infantile, freiner la propagation du VIH/sida, assurer l’éducation primaire pour tous, éliminer la pauvreté extrême, promouvoir l’égalité des sexes, préserver l’environnement et encourager le partenariat international pour le développement.
Lors d’un entretien exclusif le 21 septembre, Amina Mohammed, Conseillère spéciale du Secrétaire général sur la planification du développement après 2015, a expliqué que les OMD « sont de toute façon critiqués mais les efforts que les Etats fournissent [afin de les accomplir] demeurent à vie ». Ce « sont une prescription plein d’espoir ».
Haro sur les colons
M. Benkirane a, en outre, fustigé les conséquences dommageables du colonialisme pour la croissance des nations colonisées. Malgré le temps écoulé depuis l’indépendance du Maroc en 1956, « il n’en demeure pas moins que les Etats coloniaux portent une responsabilité historique pour la situation difficile, parfois dramatique, que vivent certains Etats du Sud, surtout en Afrique », a t-il dit. Les pays occidentaux n’ont ainsi « pas le droit de demander aux pays du Sud d’introduire rapidement des changements radicaux ».
M. Benkirane a aussi exhorté la communauté internationale et surtout les pays développés à venir en aide aux pays d’Afrique. Cela est « ni un choix facultatif, ni une faveur ou un acte de générosité » a t-il déclaré. Il s’agit davantage d’une « nécessité, voire un devoir ». Il a également encouragé la coopération et les échanges commerciaux entre les pays du Sud comme le Maroc et le Gabon.
M. Benkirane semble nier la responsabilité de la plupart des Etats africains quant à leur faible croissance économique et rend le colonialisme responsable de leur situation socio-politique. De fait, davantage de facteurs nationaux entravent le développement de ces pays africains, notamment le haut niveau de corruption. L’Afrique est un continent riche en ressources naturelles où la population est pauvre car les dirigeants sont corrompus. Force est de constater que cela n’a peu de lien avec le colonialisme.
En outre, le discours du chef du gouvernement illustre l’alignement du Maroc sur les pays développés et surtout l’Afrique avec l’appel à la coopération entre les nations du Sud et l’exemple du partenariat entre le Maroc et le Gabon. Le Maroc, de par sa position géostratégique, s’est avant tout tourné vers l’Europe. Toutefois, depuis quelques années, il se rapproche des pays africains afin d’en être le leader régional.
Vers un Maroc vert
Alors que le sommet des Nations unies sur le climat s’est clôturé le 22 Septembre à New York, M. Benkirane a rappelé qu’il était crucial « de trouver le nécessaire équilibre entre les impératifs du progrès économique et social et l’exigence de protection de l‘environnement ainsi que la nécessité de préserver les droits des générations à venir ». Il a mis en avant les programmes nationaux en matière d’énergies renouvelables, à l’instar de l’énergie solaire et éolienne, qui contribuent au développement durable.
Lors d’une conférence organisée par le Haut commissariat aux eaux et forêts en marge de l’Assemblée générale, Hakima El Haité, ministre déléguée chargée de l’environnement, a présenté les projets du Maroc de gestion durable des terres. Elle a aussi souligné leur importance afin de faire face aux changements climatiques.
« N’oublions pas qu’à la fin de la journée, si nous allons mesurer ces défis [environnementaux], ils le seront de par la volonté politique que les dirigeants fournissent afin d’en faire une réalité », a déclaré Jorge Laguna-Celis, Conseiller principal pour le développement durable au sein du Programme des Nations Unies pour l’environnement durant un entretien exclusif le 21 Septembre.
« Touche pas à mon pays »
Lors de son arrivée à New York, le chef du gouvernement a rappelé l’engagement du Maroc dans la lutte contre le terrorisme devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Deux jours après les premières frappes aériennes des États-Unis et de ses alliés arabes contre l’Etat islamique en Syrie, le président américain Barack Obama a appelé au soutien des pays alliés. « Les Etats-Unis ne sont pas seuls », a t-il annoncé lors d’une brève allocution télévisée à la Maison Blanche.
M. Benkirane a ainsi insisté sur le fait que le terrorisme « ne peut être rattaché à aucune religion en particulier » lors d’une réunion sur la menace à la paix et à la sécurité internationales due aux actes terroristes, présidée par le président Obama.
Le chef du gouvernement a fait référence aux efforts du Maroc en matière d’échanges d’expertise et de bonnes pratiques dans la lutte anti-terroriste. Il a aussi fait valoir la politique sécuritaire nationale dont les services de sécurité ont arrêté plusieurs suspects d’actes terroristes. Ils ont aussi démantelé des cellules de recrutement de combattants djihadistes vers les conflits au Moyen Orient et en Afrique.
De plus, les Nations unies ont adopté le 23 Septembre le « Mémorandum de La Haye-Marrakech sur les bonnes pratiques pour une réponse globale et plus efficace au phénomène des Combattants Terroristes Etrangers dans ses dimensions sécuritaire, juridique et en relation avec l’extrémisme violent ». Le Maroc et les Pays bas avaient proposé cette initiative lors de la dernière réunion ministérielle du forum global de lutte contre le terrorisme en 2013.
La menace terroriste se rapproche à grands pas du Maroc. Un groupe djihadiste a décapité le français Hervé Gourdel en Algérie le 24 septembre. Aussi, la région voisine du Sahel est un refuge pour les groupes criminels organisés et les terroristes ainsi qu’une plaque tournante pour le trafic international de drogues.
Cet article a été publié dans nssnss.ma le 28 septembre 2014. Cliquez ici.
Kamilia Lahrichi est la lauréate de la bourse de journalisme «Enjeux internationaux» de la Fondation des Nations Unies à New York.